CRISPR/Cas9 : Emmanuelle Charpentier futur prix Nobel ?

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CRISPR. Le mot (enfin l’acronyme) est lâché. Si, en tant que biologiste, vous n’en n’avez jamais entendu parler, c’est que vous hibernez depuis 2 ans ou que vous êtes sur le terrain au fin fond de l’Amazonie à récolter des échantillons pour votre prochain papier.

Derrière cet acronyme un peu barbare (CRISPR pour ‘Clustured Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats’) se cache l’une des plus importantes révolutions technologiques que la biologie moléculaire a connu ces 40 dernières années, au même titre que le clonage ou la PCR.

Le principe : programmer une endonucléase bactérienne (protéine qui coupe l’ADN) appelée Cas9 avec des petits ARN non codants (qui agissent comme guide) pour permettre le clivage de manière spécifique à l’endroit désiré du génome. Grâce à ce nouvel outil de génie génétique, cibler n’importe quel gène dans une cellule pour le modifier devient presque un jeu d’enfant. Eteindre ou allumer l’expression d’un gène, le modifier, le réparer, l’enlever; tout est aujourd’hui possible.

 

Un bref historique

Et pourtant, la découverte initiale aurait pu rester totalement anecdotique. Mais elle est devenue un exemple formidable de ‘détournement’ d’une découverte scientifique dans un domaine (microbiologie) au profit d’un autre domaine (l’édition et la modification des génomes), avec des applications aujourd’hui presque illimitées.

Cette histoire commence donc en 1987 par une simple observation qui est restée longtemps confidentielle : la présence d’une région inhabituelle de 5 répétitions partiellement palindromiques dans le génome d’E. Coli à l’extrémité du gène de l’isozyme alkaline phosphatase (si vous ne savez pas à quoi sert cette enzyme, moi non plus !). Il faudra ensuite attendre 2002  pour que l’équipe de Léo Shouls aux Pays-Bas mette en évidence la présence de ces séquences dans la plupart des génomes bactériens. Et c’est aussi en 2002 que l’acronyme CRISPR deviendra définitif.

Mais à quoi peuvent bien servir ces séquences répétées me direz-vous ? Et bien les premiers éléments de réponse arrivent en 2005 et ce fut plutôt une surprise. Ces séquences des génomes bactériens étaient tout bonnement identiques à des séquences des génomes de bactériophages ! (Les bactériophages sont des virus qui n’infectent que les bactéries). Et de manière remarquable, les bactéries contenant ces séquences de phage étaient résistantes à ce même phage. En d’autres termes, en intégrant des fragments d’ADN étranger au sein de son propre chromosome, la bactérie acquiert une résistance à ce phage.

Comment ? Et bien une partie de la réponse a été apportée en 2007 par une équipe française travaillant pour Danisco, une société de l’industrie laitière qui cherchait à protéger la bactérie lactique Streptococcus thermophilus des attaques de bactériophages. Pour simplifier, quand le phage réinfecte la bactérie : (1) il est reconnu, (2) la bactérie exprime sous forme d’ARN ces séquences répétées CRISPR qui correspondent à des fragments du génome du phage, (3) ces crRNAs forment un complexe avec les protéines Cas (endonucléase) et (4) s’apparient avec l’ADN de phage pour le détruire. Une sorte de système immunitaire qui utilise l’ADN étranger et non pas le couple antigène/anticorps pour se défendre.

Femmes, Science et Cocorico !

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Tout explose en 2012 avec ce papier publié dans Science par les équipes de Jennifer Doudna et Emmanuelle Charpentier. Ces 2 femmes aujourd’hui internationalement reconnues et lauréates de nombreux prix ont donc été les premières à démontrer que ce système immunitaire bactérien pouvait être reprogrammé à façon pour modifier n’importe quel gène de n’importe quel organisme.

Alors le mot est lancé : prix Nobel ! Oui je pense sincèrement que Jennifer Doudna et Emmanuelle Charpentier seront un jour récompensées du prix Nobel pour cette découverte.

Et pour la petite histoire Emmanuelle Charpentier est française !!! Expatriée depuis bien longtemps d’abord en Suède puis titulaire de l’une des plus prestigieuses chaires d’Allemagne, elle dirige aujourd’hui un centre de recherche Max Planck à Berlin.

Femme, française, prix Nobel. Ces mots vont plutôt bien ensemble vous ne trouvez pas ?

Pour en savoir plus (en français)

CRISPR Wikipedia

Article dans Le Monde

Article dans Le Figaro

Diapositives de Tuan Nguyen, INSERM : 1ère partie & 2ème partie

Prix Nobel de Chimie 2020

20 thoughts on “CRISPR/Cas9 : Emmanuelle Charpentier futur prix Nobel ?

    • Petite subtilité sur les OGMs qui pourrait avoir une grande influence juridique. Si l’on considère qu’un OGM = organisme modifié avec des gènes ‘étrangers’ (issus d’une autre espèce), peut-on considérer une plante qui aura son propre génome modifié (délétion d’un gène endogène par exemple) comme un OGM ???

  1. Bonjour,
    Mon petit fils a 3 mois nous avons appris la terrible nouvelle qu’il est atteint de l’hémophilie son gêne 22 a été mute.
    Ma question, est-ce possible de penser que CRISPR pourra régler son probleme dans un avenir rapproche.
    Je souhaite tres sincèrement que Mme Emmanuelle Charpentier puisse prendre connaissance de mon message.
    Je vous souhaite de gagner le prix Nobel. Félicitations pour votre découverte.
    Je vous remercie pour toute l’attention que vous accorderez à ma demande.
    Une grand-maman qui a beaucoup de peine.

    Ginette Vincent
    Quebec, Canada
    Violaine.vincent1@gmail.com

    • Bonjour Ginette. Je suis sincèrement désolé d’apprendre cette mauvaise nouvelle. Difficile de répondre à votre question car je ne suis ni spécialiste de l’hémophilie, ni spécialiste de la technologie CRISPR. J’ai écrit ce petit billet pour parler de cette découverte et mettre en avant l’un des chercheurs qui en est à l’origine.

      Les applications potentielles sont très encourageantes mais le chemin de la découverte en laboratoire à l’application en médecine est encore très long. On peut en effet imaginer à long terme récuperer des cellules de malade, les corriger en laboratoire et les réinjecter saines ensuite au malade. Mais il ya tellement de paramètres à prendre en compte (les cellules prises du malade vont elle encore pousser en laboratoire ? Le nombre de cellules corrigées sera-t-il suffisant ? Peux-t-on ensuite les réinjecter sans soucis dans le malade ? Vont-elles survivre ?) que l’application directe de cette technologie sera longue à mettre au point. Mais un vrai espoir existe et ouvre de nombreuses possibilités.

      Très cordialement,

      Alexis

  2. Bonjour Alexis,

    Je vous remercie d’avoir pris de votre temps pour me répondre.

    J’ai beaucoup d’espoir que notre petit Émile puisse être guéri un jour grâce à cette découverte.

    Je vous souhaite une très belle journée.

    Ginette Vincent
    info@gdbeauxcedres.com

  3. Bonjour Alexis,

    Je vous remercie beaucoup d’avoir pris de votre temps pour me répondre.

    La guérison de mon petit Émile n’est pas pour demain, mais s’il y a de l’espoir c’est déjà un pas en avant, d’ici 15 ans la découverte aura évoluée, donc un espoir pour nous.

    Je vous laisse mon courriel personnel, si jamais dans 1-5 ou même 10 ans vous avez la chance de cotoyer des gens en rapport avec cette découverte ou autre technique qui pourrait guérir Émile, je vous en serais très reconnaissante de m’en faire part.

    Bonne journée!
    info@gdbeauxcedres.com

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    • je n’ai aucune idée des thèmes de recherche qu’Emmanuelle développera au Max Planck.
      Mais pour ce qui est des bactéries résistantes aux antibiotiques il faut plutôt allerr voir d’autres français, Xavier Duportet et David Bikard avec leur start-up eligo bioscience http://eligo-bioscience.com/

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